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Une
légende de Pierre-qui-vire ou la mère indigne repentie.
« Le véritable bien c'est un cur
qui vous aime »
Quelques versions.
Petites
réflexions
Bibliographie
Quelques versions :
La légende de la Pierre-qui-vire, Mélusine,
contes et légendes de Basse-Bourgogne ; Jean
Puissant, Cooped 1950.
L'enfant à la « Wivre », dans Contes
et légendes de Bourgogne, G. Perron-Louis, Nathan
éditeur ;
Légendes et traditions foréziennes,
Noëlas, Roanne, 1865.
La Pierre qui Vire, A. Renaud (Morvan) 1888
Dans le champ des Commes, il existe un de ces
rochers à fleur de terre qui s'ouvraient autrefois
pendant la messe de Pâques, au moment de Dieu
montré, laissant à découvert des amoncellements
considérable de pièces d'or. Une fois, une pauvre
femme vit cela et fut tentée. L'année suivante, à
pareil jour, elle prit son enfant sur son bras, et
sans faire part à son mari, elle s'en alla dans le
Champ des Commes. Au moment où le clocher du bourg
teintait l'élévation, voilà que le rocher se mit
à trembler et à s'entrouvrir. La femme entra sans
hésitation, déposa son enfant sur un des tas d'or,
et se mit à avidement à remplir son tablier. Puis
quand le rocher trembla de nouveau pour se refermer,
elle sortit au plus vite ; mais dans sa
précipitation, elle oublia l'enfant. Après avoir
pleuré toutes les larmes de son corps, la
malheureuse retourna à la maison, où elle fut bien
obligée de tout avouer à son mari. Depuis ce jour
le chagrin fut dans cette famille.
Cependant, à Pâques suivant, cette femme
retourna vers le rocher maudit : elle voulait savoir
ce qui était advenu à son pauvre petit. Les choses
se passèrent comme de coutume, et... le garçon lui
apparut frais et souriant, faisant inconsciemment
rouler des pièces d'or, comme si rien ne s'était
passé. Vous pensez bien qu'elle ne songea guère
cette fois à remplir son tablier, mais qu'elle
saisit son petit et l'emporta toujours courant à la
maison. On acheta à la vierge une robe toute neuve
qu'elle mit tous les ans à la messe de Pâques ; on
redora le bon saint Blaize, qui est comme chacun
sait, le patron de la paroisse, et Monsieur le Curé,
dit plusieurs messes et plusieurs neuvaines, ce dont
il ne songea point à se plaindre.
Et depuis, ces gens vécurent heureux et honorés dans
le pays.
La Pierre qui vire, dans
Au rendez-vous de la légende
bourguignonne ; Sophie &
Béatrix Leroy d'Harbonville, ed. S. A. E. P., 1981.

Petites
réflexions
Une veuve, pauvre, devant élever son enfant est
si acharnée à prélever le plus qu'elle peut d'un
trésor caché sous une pierre-qui-vire, qu'elle oublie
son petit lorsque celle-ci se referme. Elle ne pourra le
récupérer qu'au bout d'un an, et après s'être
repentie. Tel est l'argument de la légende de
Basse-Bourgogne. Argument qui est aussi celui avec
quelques variantes de quelques autres légendes
morvandelles, foréziennes, mais aussi bretonnes et de
l'Hérault.
La légende de cette mère indigne repentie, dans la
version qui fait l'objet de cette étude, se mêle au
tissu symbolique des trésors et des mégalithes, et plus
spécialement parmi ces derniers, des pierres qui se
déplacent.
trésors, mégalithes et wivre à laquelle
certaines versions font appel tous ces tissus
symboliques concourent au même but : démontrer
combien un enfant est précieux et combien une mère est
fautive lorsqu'elle le perd, et surtout lorsqu'elle le
perd pour s'être laissée aveugler par les mirages des
trésors matériels. Cette valorisation du rôle de la
mère fut celle d'intellectuels depuis le XVIIIe
siècle, depuis que Rousseau avec son roman, La
Nouvelle Héloïse, idéalisa le rôle de la mère.
La légende de la pierre-qui-vire est donc celle d'une
mère indigne repentie, qui dans la version de
Basse-Bourgogne, s'appelle Marie des Roches.
Arrêtons-nous un instant sur ce nom, car, choix
peut-être du collecteur, Jean Puissant, il n'en tisse
pas moins un tissu symbolique avec d'autres éléments de
la légende.
Le nom d'une mère
Etude du nom de la mère de la version de Jean
Puissant.
Les deux épisodes principaux qui sont la perte de
l'enfant, son enfouissement, et sa récupération, ont
lieu pendant la nuit de Noël. Comment le lecteur ne
penserait-il pas à Marie et à Jésus ?
L'amour est le thème de la légende. Amour de la
mère pour son enfant et de l'enfant pour sa mère... le
vieux Simon de la version morvandelle, affirme à
Marie : « le véritable bien, vois-tu, ce
n'est pas l'or ou les diamants mais un coeur qui vous
aime ».
La roche est un élément constitutif du nom de la
mère et contribue ainsi à la désigner : Marie de la
Roche, ou Marie des Roches. Elle vit, dit le texte, dans
une « cabane étroite et sombre ». Est-elle
située à l'écart du village, près de la forêt, ou de
roches, le lieu de l'habitat ayant souvent servi à
désigner ceux qui y habitaient. Ce pseudonyme peut aussi
renvoyer à la personne même de Marie, à sa carrure
son visage est durci , ou à une certaine sécheresse
dans sa manière d'être, la misère ne lui laissant pas
beaucoup de temps pour ce qui n'est pas le travail. À ce
propos, elle « faisait la tâche d'un
homme ». Est-ce une autre signification de son
nom ? Nous avons affaire à une femme solide, une
« grande et forte fille », dont la féminité
est amoindrie par la misère qui la contraint à faire ce
que font les hommes, faucher et lever la cognée.
Mais surtout son nom fait écho à la pierre sous
laquelle est caché le trésor.
Marie des Roches est pauvre, et même indigente. Sa
cabane n'est pratiquement pas meublée, que par un unique
coffre. Elle n'est vêtue que de haillons. Et son ardeur
au labeur ne suffit pas à les nourrir, elle et son fils.
Elle fait l'objet de railleries de la part de ses
compagnes.
C'est là une caractéristique des légendes
partageant le même thème : la mère est pauvre et
c'est là l'explication de son désir, de son obsession
à conquérir le trésor dont on parle autour d'elle. Une
seule version décrit la mère comme une femme, aisée,
avare, dont le souci n'est pas comme ses soeurs d'avoir
de quoi nourrir son enfant, mais d'augmenter son avoir.
C'est ce trait dont rend compte son nom ; elle est
appelée « la Peutte » ce qui veut dire
« la mauvaise »(cf. l'Enfant à la Wivre).
Ce désir d'acquérir le trésor, qui, pour Marie des
Roches et pour beaucoup de ses soeurs, est en fait un
désir de sortir de leur indigence, un refus de leur
sort, s'avère être une faute. Est-ce vraiment le refus
de son sort qui est sanctionné ou le choix d'améliorer
leur sort ? Elle n'opte pas pour le travail, un
travail plus lucratif mais honnête, elle choisit pour
l'aventure. Et comme pour toutes les héroïnes de contes
qui choisissent des voies de traverses, cela ne peut que
mal se terminer pour elle.
Elle choisit de prendre ce que personne n'a pu ou su
prendre avant elle, quelque chose qui n'appartient plus
vraiment au monde des hommes, qui est parfois gardé par
des êtres merveilleux. Gardé par la wivre, dans l'enfant
à la wivre, le trésor se transforme en pierres
sans valeur, hors de leur cachette. Dans la légende
forézienne, « on le tient comme certain, le diable
conserve ces richesses pour l'Antéchrist ».
Mais sa plus grande faute n'est peut-être pas tant de
vouloir s'approprier ce qui ne lui appartient pas, que de
se laisser éblouir par le trésor, de ne penser qu'à en
prendre le plus possible au point d'en oublier jusqu'à
l'existence même de son enfant. Si dans les autres
versions l'urgence (sortir avant que la pierre ne se
referme, que la wivre ne revienne) et l'éclat de
l'argent, de l'or et des pierres précieuses suffisent à
expliquer l'attitude de la mère, la version morvandelle
suggère une autre explication. En effet, dans son
introduction, J. Puissant cite diverses croyances
relatives à cette pierre qui vire, dont des fées ou un
vieillard, qui sont des êtres fantastiques qui ont pu
aveugler la mère. D'ailleurs lorsque celle-ci,
éplorée, après avoir déposé son butin dans sa cabane
et s'être aperçue de son oubli, revient près de la
pierre, ne croit-elle pas entendre des ricanements.
Les pierres qui cachent des trésors sont nombreuses,
ainsi les pierres de Plouhinec qui « quand (elles)
vont boire à la rivière d'Intel, (...) laissent à
découvert des trésors » (Le floklore de
France, Paul Sébillot, t.IV, p.18). Mais ces
trésors sont souvent gardés par des animaux ou des
êtres fantastiques (fées, démons). Paul Sébillot,
dans le folklore de France, pages 20, 107
&108, tome IV cite quelques exemples de trésors
ainsi gardés par des levrettes blanches, des fées, des
démons, des serpents
La perte de son nourrisson rend la mère folle de
douleur. Dans quasiment toutes les versions, la solution
qui le lui rendra, lui est donnée par un vieil homme.
C'est le doyen du village, celui qui est considéré
comme son chef, dans la légende de la
pierre-qui-vire, le vieux Simon, un homme chargé
d'expérience. Dans la version forézienne, il s'agit
d'un moine, de nouveau un vieil homme dans l'enfant
à la Wivre. Dans notre version, il est aussi celui
qui à la faveur de la veillée de Noël, a parlé du
trésor de la pierre, l'a décrit.
Que conseille-t-il à Marie de la Roche ?
D'attendre un an que s'ouvre de nouveau la pierre et de
rendre ce qu'elle a pris. Notons que dans d'autres
versions il lui faut non pas rendre le trésor mais le
dépenser en oeuvres pieuses (la version forézienne) ou,
le trésor étant devenu pierre sans valeur, devenir
humble et charitable (l'enfant à la Wivre).
Elle ne peut espérer récupérer son enfant si elle ne
satisfait pas cette condition.
Ce qui suffit dans les deux versions bourguignonnes
rendre le trésor, devenir « la Bonne » en
pratiquant la charité ne suffit pas dans la version
forézienne, car il faut en plus pour la mère
« tous les jours porter sur le roc Py-le-Mortier le
berceau vide, les langes proprets et la nourriture de
l'enfant » ; la nourriture sera mangée et les
langes souillés. Ce qui assure à cette mère,
contrairement aux autres, que son enfant est vivant.
L'enfant durant un an, vit caché avec le trésor,
dans les souterrains d'un château, dans les ruines d'un
camp romain, sous une pierre-qui-vire.
Examinons cette pierre citée par la version de J.
Puissant. Elle n'existe plus au moment où le conteur est
censé parler (il situe sa légende dans un temps
très éloigné). C'est une pierre qui se déplace mais
elle est plus. J. Puissant prend la peine de lui
attribuer d'autres légendes, qui construisent une aura
maléfique, diabolique et qui font appel à d'autres
croyances. Diverses causes de mouvements sont invoquées
le doigt d'un enfant, un oiseau, le vent, le moindre
choc, causes que connaissent beaucoup de traditions
populaires. Les rondes de fées, les monstres, sont aussi
biens connus dans le folklore, que ces êtres aient
choisi comme habitat les pierres, qu'ils les aient
construites, s'en serve comme outils, ou qu'ils soient
les gardiens des trésors cachés. Mais cette pierre a
même le pouvoir de provoquer des incidents dans ses
alentours qui pour être banals, car pouvant arriver en
tout lieu, se produisent à une fréquence inhabituelle,
ou puisqu'ils se produisent près d'elle, lui sont
imputés.
Pourquoi un tel exposé dans la version de J.
Puissant ? Il peut répondre à deux objectifs.
D'une part, rappeler aux lecteurs de 1950, diverses
légendes concernant les pierres légendes qu'ils ont
oubliées, mais surtout créer un climat dramatique. Dès
les premiers mots, le lecteur sait à quoi s'en
tenir : la pierre est satanique, son trésor l'est
aussi ; vouloir se l'approprier est une faute d'autant
plus grande. Il faut parallèlement, une grande
pauvreté, une désespérance, chez la mère, pour
qu'elle ait le courage d'affronter une pierre aussi
dangereuse, et de faire ce que même le vieux Simon dit
Bras-de-fer, qui pourtant eut une vie bien remplie, ne
put faire : descendre dans la fosse et ramasser le
trésor.
Les légendes relatives aux pierres qui virent sont
nombreuses, et ce, dans beaucoup de régions françaises.
Le plus souvent elles se déplacent simplement, soit sur
elles-mêmes la Bourgogne compte beaucoup de ces
pierres (une quarantaine ont été dénombrées dans la
seule Côte d'Or (La Côte d'Or mythologique)
soit pour aller comme en Bretagne « se désaltérer
pendant la nuit de Noël » (Le Folklore de France,
Paul Sébillot, t. IV, p. 18) .
Qu'elles virent au son des cloches et pendant la nuit
de Noël, n'est pas chose étonnante en soi. N'est-elle
pas la nuit par excellence au cours de laquelle se
produisent maints prodiges. Dans le folklore, nombreuses
sont les pierres qui cette nuit-là virent. Ainsi :
« le menhir de Gerponville (Seine-Inférieure),
une pierre frite près d'Aillant (Yonne) tournent trois
fois sur eux-mêmes pendant l'évangile de Noël ;
la Pierre de David à Cangy (Indre-et-loire), la Pierre
de minuit à Pont-Levoy (Loire-et-Cher), la pierre qui
pousse de Ham dite aussi pierre tournante, la Pierre
tourneresse de Gouvix viraient à minuit la nuit de
Noël. Et plusieurs Pierres frites du Velay tournent
lentement sur elles-mêmes pendant cette nuit
merveilleuse » (Le Folklore de France, Paul
Sébillot, t. IV, p. 17).
Cinq roches se meuvent pendant la nuit de Noël en
Côte d'Or (La Côte d'Or mythologique).
Noël n'est pas la seule période qui voit de tels
phénomènes, Pâques aussi, surtout pendant
l'élévation. C'est la date choisie par la légende
forézienne. Cette version est plus que les autres,
empreinte de chrétienté. Les références, à la
« sainte journée », au Bon Dieu, sont
nombreuses. L'aide vient en fait de Dieu lui-même qui,
la prenant en pitié, lui envoie « des conseils en
cheveux blancs ».
Si cette légende s'appuie fortement sur la tradition
chrétienne, celle de Puissant, par contre n'y fait
pratiquement pas référence. La douleur de la mère est
décrite avec détail, douleur qui comme dans les autres
versions se traduit sur son corps. Elle ne dort plus, ni
ne mange, erre « comme une somnambule ».
C'est pareillement la pitié qui lui apporte de l'aide,
mais ici, la pitié, humaine, du vieux Simon.
Le message de cette légende est clair. Qu'il se lise
dans la désespérance de la mère ou qu'il soit de
surcroît dit par le vieux Simon : un enfant est
plus précieux que n'importe quel trésor, sa mère ne
doit pas l'abandonner mais l'aimer. C'est là sans doute
une vieille préoccupation de la société.
Depuis Rousseau et son roman La Nouvelle Héloïse,
dans lequel il idéalisait la mère, de nombreux
intellectuels s'en sont fait le chantre dans le souci de
convertir à cette nouvelle image des femmes de toutes
conditions :
« Les philosophes ont eu le souci d'inculquer le
nouveau modèle maternel aux femmes d'humbles conditions.
Ils espéraient ainsi limiter le nombre des abandons
d'enfant qui croissait de façon inquiétante à la fin
du XVIIIe siècle (L'histoire
des mères du Moyen âge à nos jours ; Yvonne
Knibiehler & Catherine Fouquet, Monalber, p.
148) ».
Leur préoccupation, d'ordre social, était une
réponse qui n'eut pas grand succès à une
pratique d'une ampleur inquiétante, et aux
répercussions sociales qui ne l'étaient pas moins.
À un autre niveau XIXe siècle, Paul Janet, dans son
cours de philosophie, intitulé la famille, écrit:
« Le rôle du père est de former l'enfant par
l'autorité et par la raison. Le rôle de la mère est
d'obtenir les mêmes effets par l'amour et par la
tendresse. Le triomphe du père est de conquérir par le
respect une volonté disputée. Le triomphe de la mère
est de gagner par l'amour une volonté qui s'abandonne
(Paul Janet, la famille, cours de
philosophie, faculté de lettre de Strasbourg,
1849) ».
Qu'elle est donc la plus grande faute de Marie des
Roches et de ses soeurs ? Avoir abandonné même
involontairement leur enfant ou avoir oublié ne
serait-ce qu'un instant leur rôle de mère.
Dans une époque plus lointaine, ce n'était pas tant
l'amour maternel qui préoccupait la société, mais
l'enfant et la responsabilité de la mère. En effet au
Moyen âge, la mortalité infantile était telle, qu'en
réponse on pouvait assister à un véritable acharnement
nataliste :
« En cas d'incident, le corps de la femme était
« ouvert » dans des conditions que chacun
peut imaginer, en vue de sauver la descendance d'une
lignée noble. Cet acharnement conduisait même à
pratiquer des césariennes sur le cadavre de femmes
mortes accidentellement avant le terme de sa
grossesse » L'enfant et la femme sous
l'ancien régime, la vie quotidienne avant la Révolution
en Berry et en Poitou ; Bernard Royer ;
1984 ; p. 55.
L'enfant était en effet très important, plus qu'un
être à aimer ou qui vous aime, c'était le futur adulte
qui vous succéderait ou vous aiderait dans la
vieillesse. Il le resta longtemps. Il était si important
que la société sanctionnait la mère dont le nourrisson
venait à disparaître :
« Autre particularité, la mère semblait
investie de la responsabilité de l'enfant pendant les
sept premières années de son existence, période qui
coïncidait non sans raison avec la durée au cours de
laquelle le seigneur justicier était tenu de pourvoir
aux besoins des enfants naturels. En matière
d'infanticide, constaté chez la fille-mère esseulée ou
le couple légitime en surcharge de famille, comme dans
l'hypothèse d'une mort accidentelle de son enfant, seule
la femme était désignée coupable par le législateur
ou le directeur de conscience » (Bernard
Royer, opus cité, p. 97).
Mais qu'en est-il de l'enfant ? Oublié par la
mère, il passe un an dans la cachette du trésor, sous
la pierre, sans en souffrir, sans même semble-t-il
vieillir. L'enfant et la pierre sont dans les traditions
populaires étroitement liées. Nombreuses sont en effet
les pratiques magiques (par frottement ou par glissade)
qui pallient à la stérilité du couple ou de la femme.
Mais les pierres sont aussi en relation avec la
naissance. P. Sébillot note dans le Folklore de France:
« dans l'est, et principalement dans la région
vosgienne, de gros rochers jouent le rôle dévolu aux
choux dans les explications de la naissance que l'on
donne aux enfants. ».
Peut-être peut-on hasarder l'hypothèse que ces
enfants ont besoin de renaître à l'amour maternel,
devant leur mère.
Mais les pierres guérissent, préservent du mal,
assurent une certaine longévité. C'est le sens du baptême
de la pierre :
« Les villageois de la Saintonge faisaient
passer leurs enfants nouveau-nés par des trous qui
existaient sous la table de certains dolmens pour les
préserver de tout mal, présent ou futur. À Fouvent,
les parents de celui qui venait d'être baptisé, le
passaient par l'ouverture de la Pierre percée ;
c'étaient le baptême de la pierre, qui devait
le préserver de toutes sortes de maladies, et lui porter
bonheur pendant tout le cours de son existence ; on
lui faisait subir une seconde fois cette opération dès
qu'il était souffrant : un usage analogue fut noté
à la fin xviiie siècle par un antiquaire qui
visita le dolmen de Trie (Oise). La pierre de fond est,
dit-il, percée de part en part d'un trou irrégulier,
par lequel les habitants des environs ont l'usage, de
temps immémorial, de faire passer les enfants faibles et
languissants, dans la ferme confiance que cette pratique
put leur rendre la santé ; naguère encore, pour
les préserver de la fièvre, on les introduisait dans ce
même trou, de dehors en dedans, la tête la première.
Dans l'Aisne, les jeunes mères, pour conjurer la
malchance, faisaient passer leur enfant par une pierre
trouée ; en Eure-et-loire, pour garantir les
nouveau-nés des maléfices, on les faisait aussi passer
par le trou du dolmen d'Allaines, aujourd'hui
détruit » (Le Folklore de France, Paul
Sébillot, t. IV, p. 58).
Cette légende ne relate pas, bien sûr, la naissance
d'un enfant, ni les moyens employés par la mère pour le
préserver de tous les maux. Ce n'est du moins pas son
propos principal. Car il est difficile de ne pas y songer
et de ne pas voir dans cet enfant gardé pendant un an
par la roche, l'enfant de la roche. Il mérite au même
titre que sa mère ou plus que sa mère le nom de
celle-ci.
Conte moral, dans lequel l'enfant devient l'enfant de
la Roche, mais aussi l'enfant de la Wivre, ou celui qui,
comme le moine dans la légende forézienne, à vécu
dans la caverne, et en revient « portant un rameau
garni de pommes d'or ».
La wivre, le « rameau garni de pommes
d'or » sont autant de tissus symboliques qui
enrichissent chaque version de la légende.
Peu répandue, car il ne semble pas qu'on ait trouvé
des versions dans d'autres pays que dans le Forez, la
Bretagne, la Bourgogne et l'Hérault, elle fut reprise en
1981 par Sophie & Béatrix Leroy d'Harbonville, dans
leur recueil de légendes bourguignonnes.
Quelques réflexions
qui peuvent en susciter d'autres.. que je confronterai
bien volontiers aux miennes, en les mettant en ligne.
Bibliographie
Le folklore de France, Paul Sébillot,
Maisonneuve et Larose, tome IV.
L'histoire des mères du Moyen äge à nos
jours ; Yvonne Knibiehler & Catherine
Fouquet ; èd. Montalber.
L'enfant et la femme sous l'Ancien Régime, La vie
quotidienne avant la Révolution en Berry et Poitou ;
Bernard Royer ; 1984.


Copyright © dessins, photos et textes
Dolaine 1997. Mise à jour 26 février 1999
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